86 mathématiciens russes ont envoyé la lettre qui suit au comité exécutif de l’Union Mathématique Internationale au sujet du cas de notre collègue Azat Miftakhov. Les mathématiciens russes peuvent continuer à signer cette lettre en suivant ce lien.
Chers et chères membres du comité exécutif de l’Union Mathématique Internationale (IMU),
A l’été 2022, des mathématiciens du monde entier vont se rassembler pour célébrer les résultats de nos collègues, et notre discipline en général, pendant le Congrès international des mathématiciens qui doit avoir lieu à Saint Pétersbourg, en Russie. Cet événement est de la plus haute importance pour la communauté mathématique mondiale. La liberté de réunion, la coopération scientifique ouverte entre des communautés académiques de nations différentes et la neutralité politique sont toutes des valeurs fondamentales que le Congrès va garantir à tous les mathématiciens, ce pourquoi nous saluons la décision d’organiser le Congrès en Russie et de rendre possible la participation de centaines de nos collègues. Pourtant, un mathématicien russe est privé de cette opportunité par les autorités russes, pour des motifs politiques – en opposition aux valeurs mêmes qui sont chères à l’IMU.
Nous faisons référence à Azat Miftakhov, étudiant diplômé de la Faculté de mécanique et de mathématiques de l’université d’Etat de Moscou et militant anarchiste, qui a été illégalement incarcéré par les autorités russes depuis le 1er février 2019. Accusé d’avoir brisé une vitre d’un bureau local du parti dirigeant de Russie, il a été initialement détenu sous l’accusation de tentative d’attaque terroriste. Grâce à la prompte réaction de la société civile et de la communauté mathématique mondiale, cette accusation a été abandonnée par les procureurs d’État, mais Miftakhov a été cependant reconnu coupable d’« hooliganisme » et condamné à une détention de six ans dans une prison fédérale — peine qu’il est toujours en train de purger. Pour le moment, il est forcé de travailler dans une scierie malgré des problèmes de santé et on lui refuse l’accès aux publications mathématiques récentes en anglais.
Les faits ne laissent aucun doute sur les motivations politiques derrière sa persécution. Il a été signalé qu’Azat et d’autres détenus ont été torturés pour les contraindre à des confessions (y compris par des menaces de pénétration avec un tourne-vis), que les autorités ont fait pression sur la famille d’Azat tout au long des procédures pénales. Toute l’accusation repose exclusivement sur le témoignage d’un « témoin secret » qui n’a pas résisté à l’examen public. Il y a eu de plus une apparente campagne de dénigrement contre Miftakhov dans des médias chauvins, dont certains contrôlés par l’état, campagne qui a inclus l’utilisation d’insultes homophobes contre lui et la diffusion d’informations privées qui n’ont pu être acquises de manière légale, comme des photos intimes d’Azat ou des enregistrements d’appels téléphoniques avec sa mère.
L’affaire Miftakhov n’est en aucune manière un cas isolé : depuis le 31 janvier 2018, quand a eu lieu le crime dont Azat a été accusé, le Service fédéral de sécurité de Russie (connu sous le sigle de FSB) a redoublé sa répression contre les personnes ayant des opinions anarchistes en Russie. Par ailleurs, la communauté académique en général est devenue depuis la cible d’une pression croissante ou même de répression directe de la part des autorités russes. Il y a une longue liste de scientifiques russes arrêtés par le FSB, prétendument pour trahison ou espionnage, dont Valery Mitko, Valery Golubkin, Viktor Kudryavtsev et beaucoup d’autres. Les répressions contre les universitaires russes ne sont pas limitées aux sciences naturelles, un sociologue et recteur d’une importante université russe non étatique, Sergei Zuev, faisant partie des victimes les plus récentes.
Les soutiens venant de l’American Mathematical Society, de la London Mathematical Society, de la Société mathématique de France, de l’Unione Matematica Italiana, de la Sociedade Brasileira de Matemàtica et, enfin et surtout, de 54 membres de l’Académie des sciences de Russie témoignent amplement que la communauté mathématique internationale est gravement préoccupée par la situation. Une pétition pour faire entendre la voix sur l’affaire Miftakhov a été signée par plus de 300 mathématiciens, et soutenue par les Sociétés mathématiques d’Espagne, de France et d’Ukraine. Après tout, l’Union mathématique internationale a elle-même appelé le gouvernement russe à laisser Miftakhov terminer ses études doctorales en France, où la Fondation mathématique Jacques Hadamard et le Laboratoire de mathématiques d’Orsay lui ont proposé une position.
Si une attitude plus ferme et plus active n’était pas prise sur la question, l’appel pour la relaxe de Miftakhov tomberait dans l’oreille d’un sourd et ne provoquerait aucune réaction de la part du gouvernement russe – l’appel des 54 académiciens russes a ainsi échoué. Laisser simplement un haut responsable de la FSB, Dmitry Derevyashkin, sur la liste des organisateurs du Congrès international des mathématiciens (ICM) et permettre au Premier ministre de Russie, Mikhail Mishustin, de s’auto-promouvoir sur le compte twitter officiel de l’ICM, pendant qu’Azat reste incarcéré et contraint à travailler dans une scierie au lieu de faire de la recherche en mathématiques sont des actes qui vont contre les valeurs de neutralité politique et de solidarité professionnelle sur lesquelles l’IMU est construite. Nous sommes d’accord avec le fait que boycotter des événements scientifiques est inacceptable, mais continuer une collaboration avec les personnes et les organisations mêmes qui sont coupables de la persécution politique de scientifiques dans notre pays l’est aussi. C’est pourquoi nous soutenons l’idée exprimée par Ahmed Abbes et Cédric Villani et appelons l’IMU à faire ce qu’elle a eu une fois la bravoure de faire, en réponse à des répressions contre nos collègues mathématiciens : repousser le Congrès international des mathématiciens jusqu’au moment où Azat sera relâché de prison ou son affaire révisée, dans une procédure qui respecte ses droits constitutionnels. De plus, nous croyons fermement que le Congrès, se tenant en Russie, doit inclure un panel sur les mathématiciens en danger, par exemple ceux et celles qui sont persécutés pour des raisons politiques par des régimes autoritaires, panel qui serait ouvert au public et largement couvert par des journalistes indépendants.
La peine d’Azat doit se terminer le 5 décembre 2023, ce qui rend tout à fait possible de préserver la sorte de célébration que le Congrès international est pour chacun, et pas seulement pour ceux et celles qui ont la chance de ne pas être arbitrairement persécutés par un gouvernement autoritaire. La frilosité à agir serait un stigmate sur la réputation de l’IMU en tant qu’organisation professionnelle engagée pour les valeurs de liberté scientifique et de neutralité politique.
Signé par 86 mathématiciens russes, y compris 23 signataires dont nous ne divulguons pas publiquement les noms pour leur sécurité et leur protection.
Liste des 63 signataires publics :
Arseniy Akopyan, Institute for Information Transmission Problems, Russian Academy of Sciences
Dmitri Alekseevsky, Institute for Information Transmission Problems
Maxim Balashov
Alexey Balitskiy, IAS
Mikhail Borovoi, Tel Aviv University
Alexander Bufetov, CNRS
Alisa Chistopolskaya, NRU HSE
Rodion Deev, IMPAN
Anna Dmitrieva, University of East Anglia
Ilya Dumanski, MIT
Alexander Efimov, NRU HSE and Steklov Mathematical Institute
Alexander Elashvili, Tbilisi State University, Razmadze Mathematical Institute
Sergey N. Fëdorov
Boris Feigin, HSE
Sergey Finashin
Yan V Fyodorov, King’s College London
Azat Gainutdinov, CNRS France
Nikita Gladkov, UCLA
Leonid Gurvits, The City College of New York
Lyalya Guseva
Michael Hitrik, UCLA
Andrei Ionov, MIT
Grigory Ivanov, MIPT and IST Austria
Victor Kac, MIT
Ilya Kapovich, Hunter College of CUNY
Roman Karasev, Institute for Information Transmission Problems
Nikolai Konovalov, University of Notre Dame
Dmitri Korshunov, IMPA
Yury Kudryashov, University of Toronto
Mikhail Lobanov, Lomonosov Moscow State University
Dimitri Markushevich, University of Lille
Irina Mamsurova, NRU HSE
Sergey Melikhov, Steklov Mathematical Institute
Leonid Monin, Max Planck Institute for Mathematics in the Sciences in Leipzig
Slava Naprienko, Stanford University
Nikita Nikolskiy, NRU HSE
Victor Ostrik, University of Oregon
Anna Perevalova
Alexander Petrov, Harvard University
Leonid Petrov, University of Virginia
Aleksei Piskunov, NRU HSE
Alexander Popkovich, NRU HSE
Sergey Popov, University of Porto
Vladimir Potapov, Sobolev Institute of Mathematics
Leonid Prigozhin, Ben-Gurion University of the Negev
Vladimir Protasov, Moscow State University
Andrei Rodin, Institute of Philosophy, Russian Academy of Sciences
Vasily Rogov, Humboldt University of Berlin
Daniel Rogozin, Institute for Information Transmission Problem of Russian Academy of Sciences
Slava Rychkov, IHES
Alexander Shen, CNRS & University of Montpellier
Ivan Solonenko, King’s College London
Mikhail Tamm, Moscow State University and Tallinn University
Grigory Taroyan, NRU HSE
Gleb Terentiuk, University of Michigan
Alexandra Utiralova, MIT
Misha Verbitsky, IMPA
Anatoly Vershik, Saint Petersburg branch of Steklov Mathematical Institute
Vladimir Vinnikov, HSE
Vladimir Zakharov
Bogdan Zavyalov, Max Planck Institute for Mathematics
Efim Zelmanov, UC San Diego
Vadim Zharnitsky, University of Illinois